Je présume que passer de soulier à coquelicot, c'est une évolution
On suit, on prend de la distance, on se perd, on est tout seul, on a peur, on jure, on pleure, on les retrouve, on leur gueule dessus, on repart, on les aime.
Quand j'étais petite, j'étais totalement terrorisée à l'idée que l'on m’emmène ailleurs qu'au point fixé. J'aimais être déterminée, qu'on me dise d'aller là point barre. Je me souviens avoir pleuré à chaudes larmes lorsqu'une dame de la maternelle m'a prise dans son groupe parce qu'elle m'avait trouvée intrigante et pleine de retenue. Où étais je? Qui étaient ces autres enfants? Où était ma maman? Je voulais rester à la place qu'on m'avait toujours donnée. Ma vie dictée du berceau à la tombe, je voulais vivre au chaud là où on avait couvé pour moi. Et puis petit à petit, j'ai sorti le bout du nez, j'ai senti cet air de liberté. Vaste, dangereux mais pleins de merveilles. Je suis sortie, j'avais besoin de marcher. Petite à grande, pas à voyages en train. J'ai découvert le monde de mes yeux, de mes mains, de mes lèvres, de mes pieds, de ma soif d'apprendre. J'ai pris à contresens du vent, je ne voulais plus m'enfermer dans le fatalisme, je voulais être quelqu'un qui n'était pas forcément reconnue pour sa retenue ou ses larmes. Légère, naïve, peut-être foutrement inconsciente, j'ai entrepris la découverte des autres avec, dans mes poches, de la sensibilité, une grande imagination et des choses à partager. J'ai reçu bien plus, je n'ai jamais oublié un visage de ces "gens éphémères", de passage de ma vie. Une minute ou un an, ils ont fait de moi un petit soulier trottinant sur des chemins limités. Plus grande encore, j'ai voulu voir plus. Destin ou hasard, (cela m'importe peu pour l'instant) la vie m'a donné ma chance en me donnant l'opportunité de réaliser un rêve géographique, certainement pas professionnel, certes. Je l'ai saisi, j'ai poussé toujours plus loin mes limites et ma vulnérabilité. Je ne connaissais personne en arrivant, à commencer par moi. Qui suis je? Qui sont tous ces gens que je ne connais ni de nom ni de ville? Qu'est ce que je fous avec eux? J'apprends à les connaître, à me découvrir, à me tester, à vivre seule au milieu de nulle familiarité, pas de nid fixe. Je suis devenue coquelicot, qui pousse là où les graines tombent au vent. Du vent les souliers pour nos semelles de plomb!